" Certains après-midi, je suis assailli d'insolites présences. Les effleurer, c'est changer de peau, d'yeux, d'instincts. Je m'aventure alors par des sentiers peu fréquentés. A ma droite, des blocs de matière impénétrables, à ma gauche, une succession de mâchoires. J'escalade la montagne comme l'idée fixe qui dès l'enfance effraie et fascine, et qu'il faut bien un jour ou l'autre affronter. Le château qui couronne le rocher est fait d'un seul éclair. Svelte et simple comme une hache, droit et flamboyant, il avance vers la vallée avec l'intention évidente de la fendre. Château d'une seule masse, irréfutable, proposition de lave ! A l'intérieur, est-ce amour, carnage, ou chant ? Le vent amasse des fracas sur mon front, et le tonnerre établit son trône sur mes tympans. Avant de rentrer chez moi, je cueille la petite fleur qui pousse dans les crevasses, la noire petite fleur brûlée par la foudre."
Octavio Paz
Château en l'air
Liberté sur parole,
NRF Poésie/Gallimard.